dimanche 23 septembre 2012

Non au TSCG, oui au referendum

Comme ce n'est pas par les media dominants que vous saurez quels sont l'enjeu et le contenu du traité dit "pacte budgétaire" ou "traité Merkozy" voici un éclairage sur ce qui nous attend si le TSCG est ratifié par la France comme le souhaitent F. Hollande et son gouvernement. 
Le TSCG, Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Convergence au sein de l'Union Européenne, s'inscrit dans la continuité de cette Europe libérale, en particulier depuis Maastricht qui instaurait le "pacte de stabilité" prévoyant que le déficit public ne peut dépasser 3% du PIB (Produit Intérieur Brut c'est-à-dire le total de la richesse produite par un pays, pour la France environ 2000 milliards d'euros) et que la dette publique doit être limitée à 60% du PIB. 
C'est ce même traité de Maastricht qui met en place la BCE (Banque Centrale Européenne) et grave dans le marbre l'interdiction pour la BCE de prêter directement aux États, ce qui était déjà le cas pour la France depuis 1973. Les États doivent donc emprunter (en fait il s'agit de la nécessaire création monétaire qui irrigue l'économie) aux banques privées, le marché selon les gazettes. Ces banques se refinançent auprès de la BCE. C'est un premier tour de passe-passe qui permet aux banques de prélever un impôt qui n'est voté par aucun parlement et ne finance aucun service public et que nous payons tous. La BCE prête aux banques à 1% en ce moment, voire moins, et les banques prêtent à leur tour aux États à 2%, voire plus, entre 6% et 8% pour l'Espagne et l'Italie et plus de 10% pour la Grèce. Cette différence de taux assure aux banques une rente de situation et finance les bonus des leurs traders, les stock-options de leurs dirigeants et engraisse leurs actionnaires avec de confortables dividendes.
Le simple bon sens voudrait que l'on en finisse avec un système aussi stupide qui tourne le dos à l'intérêt général. Et bien non, en Europe, on ne change pas une équipe qui perd, le TSCG en remet une louche avec la "Règle d'or":


ARTICLE 3 
1. ... les parties contractantes appliquent les règles énoncées au présent paragraphe: 
a) la situation budgétaire des administrations publiques d'une partie contractante est en équilibre ou en excédent; 
b) la règle énoncée au point a) est considérée comme respectée si le solde structurel annuel des administrations publiques correspond à l'objectif à moyen terme spécifique à chaque pays, tel que défini dans le pacte de stabilité et de croissance révisé, avec une limite inférieure de déficit structurel de 0,5 % du produit intérieur brut aux prix du marché. ...
e) un mécanisme de correction est déclenché automatiquement si des écarts importants sont constatés par rapport à l'objectif à moyen terme ou à la trajectoire d'ajustement propre à permettre sa réalisation. Ce mécanisme comporte l'obligation pour la partie contractante concernée de mettre en oeuvre des mesures visant à corriger ces écarts sur une période déterminée. 
2. Les règles énoncées au paragraphe 1 prennent effet dans le droit national des parties contractantes au plus tard un an après l'entrée en vigueur du présent traité, au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles, ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon. Les parties contractantes mettent en place, au niveau national, le mécanisme de correction visé au paragraphe 1, point e), sur la base de principes communs proposés par la Commission européenne et concernant en particulier la nature, l'ampleur et le calendrier des mesures correctives à mettre en oeuvre, y compris en cas de circonstances exceptionnelles, ainsi que le rôle et l'indépendance des institutions chargées, au niveau national, de vérifier le respect des règles énoncées au paragraphe 1. Ce mécanisme de correction respecte pleinement les prérogatives des parlements nationaux. 

Je vous laisse savourer cette langue juridique propre à décourager le citoyen de lire les textes qui le gouvernent avec des formulations obscures, de nombreuses références à d'autres parties du texte ou à des précédents traités qui obligent à avoir un grand bureau pour y étaler tous les textes qu'il faut consulter en même temps pour s'y retrouver. Cela ne nous avait pas empêché en 2005 avec le référendum sur le Traité de Constitution Européenne, TCE, de bien comprendre la sauce à la quelle ils veulent nous manger, tout comme nous sommes parfaitement capables de décoder ce TSCG aujourd'hui. 

J'ai souligné "déficit structurel", une notion nouvelle par rapport à Maastricht qui ne parlait que du déficit public, c'est-à-dire le solde brut des dépenses publiques. Le déficit structurel est ce même solde mais corrigé de l'impact de la conjoncture économique et des mesures ponctuelles ou temporaires. On pourrait y voir une avancée intéressante. Si cela voulait dire que le financement de la planification écologique qui va nécessiter des investissements massifs, de l'éducation indispensable pour préparer l'avenir, des mesures de soutien à l'emploi et aux salaires pour sortir enfin du chômage, étaient sortis du calcul du déficit, on pourrait y souscrire. Mais il n'en est rien comme on le verra avec les articles suivants. D'autre part, il n'y a pas d'accord entre les "experts" qui calculent ces déficits. Prenons l'exemple de la France, la Cour des Comptes l'estime à 3,9%, la Commission Européenne à 4,1% et Bercy à 3,7%. Sachant que 0,1% représente 2 milliards d'euros, on voit que ces écarts de calculs sont lourds de conséquences. Mais ne nous plaignons pas, concernant l'Irlande, le FMI calculait pour 2011 un déficit structurel de plus de 4% pendant que la Commission trouvait un excédent de plus de 2%. Il est donc impossible aujourd'hui de savoir quel est le déficit structurel d'un État, mais le traité impose tout de même un mécanisme de correction automatique des écarts qui doit être transcrit dans le droit national "au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles..."

Le Conseil Constitutionnel dans une décision du 9 août dernier, a dit qu'il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution pour ratifier le TSCG. Manque pas d'air ce Conseil Constitutionnel, lisez ces considérants qu'il a lui-même donné dans sa décision: 

5. Considérant que, dans son article 3, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 énonce que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » ; que l'article 3 de la Constitution de 1958 dispose, dans son premier alinéa, que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » 
... 
13. Considérant, d'autre part, que l'article 14 de la Déclaration de 1789 proclame que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée »
...
21. Considérant que la Constitution fixe les prérogatives du Gouvernement et du Parlement dans l'élaboration et l'adoption des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale ...l'autorisation de ratifier le traité devra être précédée d'une révision de la Constitution ; 
...
28. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, si, pour respecter l'engagement énoncé au paragraphe 1 de l'article 3, la France fait le choix de prendre, sur le fondement de la seconde branche de l'alternative de la première phrase du paragraphe 2 de l'article 3, des dispositions organiques ayant l'effet imposé par ce paragraphe 2, l'autorisation de ratifier le traité ne devra pas être précédée d'une révision de la Constitution ; 

D É C I D E : 

Article 1er.- Dans les conditions définies aux considérants 21, 28 et 30, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, signé le 2 mars 2012, ne comporte pas de clause contraire à la Constitution. 

Vous avez suivi l'arnaque, au considérant 21 il faut une révision de la Constitution, mais au 28, rédigé de façon parfaitement incompréhensible, il n'en faut plus. Et hop, le tour est joué, pas de révision constitutionnelle et c'est donc une loi organique que le Gouvernement a mis à l'ordre du jour du Parlement. Le peuple n'a pas à décider malgré l'article 3 de la Constitution  
"la souveraineté nationale appartient au peuple..."

TOUS À LA MANIFESTATION DU 30 SEPTEMBRE À PARIS, NOUS EXIGEONS UN RÉFÉRENDUM.  

Ce n'est pas la seule arnaque, j'ai aussi souligné dans l'article 3.2 du TSCG la phrase : "Ce mécanisme de correction respecte pleinement les prérogatives des parlements nationaux."
À part la couleur de la corde avec laquelle le Parlement va étrangler le pays, je ne vois pas ce qu'il pourra décider. La loi de finance, c'est-à-dire le vote du budget, recettes et dépenses, est l'acte politique majeur du Parlement. Avec le TSCG, il sera impossible, sauf à désobéir à l'Europe ce que fera le Front de Gauche, de mettre en oeuvre une politique contra-cyclique pour relancer l'activité et sortir de la récession actuelle. C'est pourtant la seule chose à faire en ce moment. Il n'y a pas que les économistes atterrés qui le disent, c'est aussi le cri d'alarme de deux prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman  et d'un nombre croissant d'économistes orthodoxes et de personnalités de tous bords. 
La règle d'or aggravera la récession : elle est absurde, anti-sociale et anti-écologique.

L'obligation de mesures d'austérité ?

Continuons l'examen du traité :

ARTICLE 4 
Lorsque le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut d'une partie contractante est supérieur à la valeur de référence de 60 % ... ladite partie contractante le réduit à un rythme moyen d'un vingtième par an ...

ARTICLE 5 

1. Une partie contractante qui fait l'objet d'une procédure concernant les déficits excessifs en vertu des traités sur lesquels l'Union européenne est fondée, met en place un programme de partenariat budgétaire et économique comportant une description détaillée des réformes structurelles à établir et à mettre en oeuvre pour assurer une correction effective et durable de son déficit excessif. Le contenu et la forme de ces programmes sont définis dans le droit de l'Union européenne. Leur présentation pour approbation au Conseil de l'Union européenne et à la Commission européenne ainsi que leur suivi auront lieu dans le cadre des procédures de surveillance existantes en vertu du pacte de stabilité et de croissance.
2. La mise en oeuvre du programme de partenariat budgétaire et économique et des plans budgétaires annuels qui s'y rattachent, fera l'objet d'un suivi par le Conseil de l'Union européenne et par la Commission européenne. 

Qu'est-ce que ça veut dire ce charabia ? En clair, ce n'est plus chez nous que se décideront la plupart des politiques mises en oeuvre. C'est la Commission Européenne et ses fonctionnaires qui fixeront les dépenses publiques, le Code du Travail, les Conventions Collectives, l'âge de départ à la retraite, le nombre de fonctionnaires, la place des services publics, les privatisations, etc. Et vous citoyens et électeurs n'aurez plus votre mot à dire. La Commission n'est pas élue et n'a aucun compte à nous rendre. Il est aussi précisé dans les textes de la Commission "2 packs et +6 packs" que seule une diminution des dépenses publiques est autorisée pour revenir à l'équilibre budgétaire. Le "semestre européen" impose au gouvernement de soumettre son projet de budget à la Commission qui peut le modifier avant de pouvoir le présenter au Parlement.

Ce n'est pas cette Europe que nous voulons. Là où ces politiques ont été mises en oeuvre, Grèce, Espagne, Portugal et Irlande, c'est la catastrophe, la récession s'aggrave, le chômage explose, l'écologie est sacrifiée. Un seul pays européen, pas membre de l'Union mais candidat à y entrer, sort brillamment de la crise après avoir été un des plus mal en point. Il a même droit aujourd'hui aux félicitations du FMI, c'est l'Islande. Savoureux retournement de situation puisque c'est justement en faisant l'exact contraire des préconisations du FMI que l'Islande retrouve une bonne santé économique. Tout d'abord les Islandais ont voté et refusé de rembourser les banques qui les avait conduits à la ruine, ils ont nationalisé, maintenu les prestations sociales. Aujourd'hui, la croissance repart, les salaires augmentent, le chômage baisse et une réforme constitutionnelle sera soumise à référendum le 20 octobre prochain. Voilà un exemple dont il faut s'inspirer.

Quel peut donc être le but poursuivi par les gouvernements européens et la Commission puisque cette politique austéritaire est manifestement vouée à l'échec ? En culpabilisant les peuples qui auraient joué les cigales, qui ne travailleraient pas assez, qui auraient creusé les déficits (rien de tout cela n'est vrai on y reviendra) l'oligarchie poursuit son objectif de destruction de notre système social, de captation d'une part toujours plus grande de la richesse des nations. Rappelez-vous la déclaration de Denis Kessler, ex numéro 2 du patronat français, au début du mandat de N. Sarkozy:
"Le modèle social français est le pur produit du Conseil National de la Résistance. (...) Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses: statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité Sociale, paritarisme...
A y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !"

Vous êtes prévenus. On lâche rien.

Jean-Yves Boiffier

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mercredi 12 septembre 2012

"L'austérité est un désastre" Joseph Stiglitz

Dans un grand entretien accordé à l'Humanité, le prix Nobel d'économie, ancien directeur de la Banque Mondiale, estime que l'Europe court à sa perte en menant des politiques d'extrême rigueur qui conduisent "à chaque fois à un échec"

"Notre système de marché ne fonctionne pas"
Joseph Stiglitz

Prix Nobel d'économie en 2001, ancien conseiller de Bill Clinton, Joseph Stiglitz dénonce une démocratie au service des plus riches (1%), où le principe d'un citoyen-une voix s'est transformé en un dollar-une voix, creusant de plus en plus les inégalités et affaiblissant la croissance.

Vous venez d'arriver en France en pleine polémique autour de l'affaire Bernard Arnaud. Qu'en pensez-vous ?
Joseph Stiglitz. C'est une expression très étonnante d'un manque de solidarité sociale. Quelqu'un comme lui a bénéficié de la communauté française, de la législation française pour réaliser tous ses bénéfices. Maintenant qu'il a fait son bien, il s'en va.

Dans votre essai, vous dénoncez les dégâts sociaux causés par la crise financière aux États-Unis. Vous écrivez notamment :"C'est donc désormais près d'un Américain sur six qui se trouve en situation de pauvreté." Pouvez-vous illustrer rapidement cette réalité ?
Joseph Stiglitz. Un Américain sur sept perçoit une aide sociale. En dépit de cette aide, 14% d'entre eux se couchent en ayant faim au moins une fois par mois. Non pas parce qu'ils font un régime, mais parce qu'ils ne peuvent pas se permettre d'avoir suffisamment de nourriture. Pour les pauvres, l'insécurité est énorme. Ne disposant pas de réserves, ils sont constamment au bord du précipice. Une voiture qui tombe en panne, la nounou qui tombe malade sont autant d'imprévus qui peuvent leur couter leur emploi.

Vous insistez également sur la perte de richesse des classes moyennes avec la crise...
Joseph Stiglitz. La plus grande partie de leurs biens étant constituée de leur habitation, avec la chute des prix de l'immobilier, la classe moyenne américaine a énormément perdu. De telle sorte que le niveau de richesses des familles est aujourd'hui le même qu'au début des années 1990. Durant les deux dernières décennies, toutes les augmentations de richesse sont allées tout en haut de l'échelle sociale.

Vous dénoncez les politiques qui ont été conduites depuis les années 1980, y compris celles d'Obama. Vous leur reprochez de privilégier les plus riches (1%) et d'avoir conduit à la grande récession. Est-ce votre manière d'intervenir dans la campagne ?
Joseph Stiglitz. Le choix est très réduit aux États-Unis. Même ceux qui critiquent Obama, qui pensent qu'il aurait du faire plus pour stimuler l'économie ou être plus dur avec les banques, n'ont d'autre choix que de le soutenir. Romney ( le candidat républicain-NDLR) est le candidat du 1%, insensible aux problèmes de société. Le milliardaire Warren Buffet déclarait vouloir payer au moins autant d'impôts que sa secrétaire. Romney ne dit rien de tel. Pis, la réforme fiscale qu'il propose consiste à diminuer davantage les impôts des plus riches (1%). Dans mon livre, je montre que la richesse de ces derniers ne vient pas de leur contribution à la société, mais de la rente qu'ils prélèvent sur les classes les plus pauvres. Ils n'ont pas inventé le transistor ou le laser, mais pris l'argent des autres. Romney reflète les abus et les excès de cette classe dirigeante.

Vous affirmez que l'inégalité coûte très cher et qu'elle rend nos économies inefficaces, pourquoi ?
Joseph Stiglitz. Premièrement, aux États-Unis, il n'y a pas d'égalité des chances. Les enfants pauvres ne peuvent pas exprimer leur potentiel, ce qui représente une perte de ressources humaines. Deuxièmement, le haut de l'échelle sociale dépense moins que ceux qui sont en dessous. Avec la crise et la chute du pouvoir d'achat des classes moyennes, la demande baisse. Le taux de chômage augmente, les salaires diminuent et les inégalités augmentent. Troisièmement, une grande partie des inégalités aux États-Unis et dans d'autres pays provient de la recherche de la rente. Les plus riches cherchent à faire de l'argent non pas en augmentant la taille du gâteau, mais en utilisant leur énergie pour avoir une part plus importante du gâteau. Les banques qui se sont mis à faire des prêts prédateurs ont affaibli en prenant l'argent en bas de l'échelle sociale pour le mettre en haut. Quatrièmement, une société qui fonctionne correctement doit réaliser des investissements, développer ses infrastructures, dépenser en recherche... Mais lorsqu'il y a beaucoup d'inégalités, le gouvernement ne fait pas ces investissements. Les riches n'ont pas besoin de transports en commun, ni de jardins publics par exemple.

Vous accusez fortement les banques et les banquiers d'être responsables de la crise, comment les ramener à la raison ?
Joseph Stiglitz. La seule façon est de les réguler pour qu'ils reviennent à leur métier. Une banque n'est pas un casino de Las Vegas ! Le métier d'une banque est de prendre l'épargne des citoyens et de la traduire en investissements qui vont créer de l'emploi et améliorer la situation économique. Aujourd'hui, il est toujours trop facile pour les banques, malgré les nouvelles réglementations, de faire de l'argent grâce à la spéculation, ou par la manipulation des marchés, comme dans le cas du Libor. Avec ce scandale, les banquiers ont créé un marché de 350 millions de milliards de dollars fondé sur des chiffres complètement faux, et on ne le sait que maintenant.

Les banques centrales, écrivez-vous, sont actuellement le bras armé des financiers. Pourquoi les politiques monétaires sont-elles si importantes ?
Joseph Stiglitz. Les marchés ne se régulent pas d'eux-mêmes. Parfois, ils ne produisent pas assez, ou il y a trop de demande, ce qui provoque de l'inflation, c'est pour cela qu'il faut réguler le niveau d'activité économique. Et l'un des instruments que nous avons, ce sont les politiques monétaires au travers des banques centrales. En cas de surplus de la demande, les banques centrales réduisent les flux du crédit ou augmentent les taux d'intérêt. À l'inverse, lorsque la demande est insuffisante, elles baissent les taux d'intérêt et tentent de fournir davantage de crédit. En Europe, lorsque l'euro a été créé, une grave erreur a été commise concernant le rôle de la banque centrale. Il a été indiqué qu'elle ne devait s'occuper que de l'inflation. Aux États-Unis, la FED, la banque centrale, se concentre sur l'inflation, mais aussi sur l'emploi, la croissance et la stabilité financière. La BCE se concentre sur un objectif extrêmement restreint, c'est pour cela qu'elle n'arrive pas à stabiliser l'économie européenne.

Comment expliquer l'acharnement à imposer des politiques d'austérité un peu partout, alors qu'elles sont injustifiables économiquement ?
Joseph Stiglitz. C'est pour moi un véritable mystère. Nous avons expérimenté de telles politiques d'austérité des dizaines de fois et, à chaque fois, cela a été un échec. En 1929, cela avait été le cas avec le président des États-Unis, Herbert Hoover, qui a transformé l'effondrement de la bourse en grande dépression. Plus récemment, le FMI a fait pareil dans le Sud-Est asiatique et en Argentine, et cela a été un désastre. La plupart des pays européens qui ont engagé des politiques d'austérité sont maintenant en récession : l'Espagne, la Grèce sont en dépression. Compte tenu de toutes ces expériences, la possibilité pour des politiques d'austérité de réussir parait minime. La plus forte probabilité est que l'économie cesse de croître, les recettes fiscales cessent d'augmenter, les dépenses sociales et le chômage continuent de croître et que, au final, les améliorations budgétaires espérées ne soient pas au rendez-vous.

Quels leviers permettraient de relancer l'économie mondiale ?
Joseph Stiglitz. Plusieurs choses pourraient y aider. Les pays qui ont une grande marge budgétaire, comme les États-Unis et l'Allemagne, pourraient stimuler davantage leur économie. L'accroissement de leurs importations, en retour, pourraient avoir un effet d'entraînement sur les autres pays. En ce qui concerne les États-Unis, d'autres facteurs peuvent intervenir. Nous devons, par exemple, nous occuper des problèmes du logement. La deuxième chose qui pourrait jouer serait de fixer un prix élevé pour les énergies fossiles. Cela pousserait les entreprises à investir pour rééquiper l'économie afin de faire face au problème du réchauffement planétaire. En ce domaine, les besoins d'investissements sont énormes. Pour moi, l'ironie de l'histoire est qu'on a sous-utilisé nos ressources. Il y a, d'un côté, des gens qui veulent travailler, du capital qui ne produit rien et, de l'autre, ces besoins énormes en matière d'environnement, de développement, de lutte contre la pauvreté. Cette réalité est la preuve que notre système de marché et notre système politique ne fonctionnent pas.

Ce que vous appelez la "grande récession" ne témoigne-t-il pas du fait que le libéralisme est entré en crise ?
Joseph Stiglitz. Clairement, la crise montre que l'idéologie de la dérégulation est erronée. Elle n'a pas été efficace économiquement, elle a provoqué un gâchis considérable des ressources, et son échec a coûté énormément à la société. La liberté laissée aux banquiers a obligé le reste de la société à payer leurs erreurs. De ce fait, ils ont rogné la liberté des autres. C'est une réalité qu'on a tendance à oublier : la liberté de quelqu'un peut être la non-liberté de quelqu'un d'autre.

Vous évoquez différentes formes d'inégalité : de revenus, de patrimoine, de formation... Mais n'y-t-il pas une autre forme d'inégalité particulièrement importante, l'inégalité de pouvoir, celle du citoyen mais aussi celle du salarié à l'entreprise, par rapport aux dirigeants et aux gros actionnaires ? Peut-on laisser les choix d'investissement des grands groupes au bon vouloir de ces derniers ou même de l'État ?
Joseph Stiglitz. Vous avez raison, l'inégalité économique n'est qu'une des dimension de l'inégalité. Une des thèses de mon livre est que l'inégalité économique provient de l'inégalité politique, qui elle même renforce l'inégalité économique. C'est inégalité économique et politique se manifeste dans beaucoup d'autres domaines de la société, dans la nature des investissements, des entreprises. Vous avez des compagnies pétrolières qui font des investissements sans s'occuper des coûts qu'ils vont imposer au reste de la société, que ce soit par le réchauffement durable ou, dans le cas de BP, par la pollution de la mer. Elles ont utilisé leur pouvoir politique pour bénéficier d'une immunité judiciaire. L'une des remarques critiques que je fais, c'est que la forme de capitalisme que nous connaissons aujourd'hui ne maximise pas le bien-être des gens. Les PDG s'occupent plus de leur bien-être que de celui de leur actionnaires. Ils font tout pour que le prix des actions monte parce qu'ils sont payés en stock-options. Ils manipulent les comptes. Par ailleurs, nombre d'actionnaires ont une pensée à court terme. Ils font tout pour pour maximiser le plus vite possible leurs bénéfices, plutôt que d'envisager une croissance à long terme. C'est aussi dû au fait que les marchés eux-mêmes fonctionnent davantage à court terme. Troisièmement, nous savons que, même lorsque les dirigeants maximisent les bénéfices des actionnaires à long terme, cela ne veut pas dire que cela soit profitable pour le reste de la société.

Suffit-il qu'il y ait un "bon État"pour sortir de la crise ?
Joseph Stiglitz. C'est complexe car qu'entendez-vous par un "bon État" ? On peut avoir un État bien intentionné qui ne comprend rien à l'économie ou qui croit que l'austérité, ça fonctionne. Mais s'il met en oeuvre une politique d'austérité, aussi bien intentionné soit-il, il est probable que le résultat ne sera pas bon. D'un autre côté, si vous avez un État qui reflète l'intérêt des banquiers, on peut être certain qu'il sera incapable de sortir de la crise d'une manière qui sera profitable à la plupart des citoyens.

Êtes-vous solidaire des forces progressistes qui se battent contre l'adoption d'un pacte budgétaire dans les pays de la zone euro ?
Joseph Stiglitz. Je pense qu'il y a un diagnostic totalement erroné du problème européen. L'attention est concentrée sur la Grèce. Celle-ci a trop dépensé. L'Espagne, l'Irlande avaient des surplus avant la crise et même si ces pays n'avaient pas de déficit, cela n'aurait pas réglé les problèmes de l'Europe. Si celle-ci en a, c'est parce que les banques n'étaient pas et ne sont pas suffisamment régulées. L'Europe a créé un système instable. C'est un des exemples de l'erreur fondamentale du système européen et ce n'est pas le pacte budgétaire qui résoudra les problèmes. Dans le contexte actuel, ce pacte imposerait plus d'austérité, une moindre croissance. Les dirigeants européens disent :" il faut restaurer la confiance", mais ils ne comprennent pas que le problème sous-jacent, auquel l'Europe fait face, c'est qu'eux-mêmes torpillent la croissance.
Entretien réalisé par Pierre Ivorra et Clotilde Mathieu ( traduction : Michel Zlotowski)

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